Qu’est-ce qu’une forêt primaire ?
Biodiversité exceptionnelle, puits de carbone, écosystèmes modèles, les forêts primaires sont des trésors comme seule la Nature a le secret.
Menacées par la déforestation, le changement climatique et les activités humaines, elles sont pourtant essentielles à la vie sur Terre et méritent tous les efforts engagés pour leur préservation et leur régénération.
C’est quoi une forêt primaire ?
Une forêt primaire, c’est une forêt qui n’a pas été endommagée par l’activité humaine. C’est la forêt de nos rêves : un écosystème intact, auto-régulé, dont les dynamiques et les fonctions n’ont pas été perturbées par notre présence.
La FAO (l’organisme des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) en donne une définition extensive dans son rapport sur l’évaluation des ressources forestières mondiales de 20201 : une « forêt naturellement régénérée d’espèces indigènes où aucune trace d’activité humaine n’est clairement visible et où les processus écologiques ne sont pas sensiblement perturbés. »
Toute la subtilité de la définition tient dans ce « sensiblement ». Car jusqu’à l’apparition de l’espèce humaine, il y a un peu plus de 300 000 ans, les forêts primaires étaient les seules existantes sur toute la surface du globe. Rares sont aujourd’hui celles qui n’ont jamais été touchées d’une manière ou d’une autre, et il est quasiment impossible de s’assurer qu’aucune intervention humaine n’est venue perturber l’écosystème à un moment ou un autre de notre « courte » Histoire.
La FAO donne quelques critères communs aux forêts pouvant être considérées comme primaires :
- Elles présentent des dynamiques forestières naturelles telles que la composition naturelle d’espèces forestières, la présence de bois mort, la répartition naturelle par âge et des processus naturels de régénération ;
- La zone est suffisamment grande et conserve un degré de connectivité tel que ses processus écologiques naturels sont maintenus ;
- Il n’y a pas eu d’interventions humaines importantes connues, ou la dernière intervention importante remonte à suffisamment longtemps pour que les éléments (y compris la diversité des espèces) et les fonctions de l’écosystème naturel aient pu être rétablis.
L’écologue Anton Potapov2 propose, lui, une approche des forêts primaires en tant que « massif forestier intact » qu’il définit comme : « une mosaïque ininterrompue de forêts et des écosystèmes naturels dépourvus d’arbres qui leur sont associés, cette mosaïque ne devant laisser apparaître aucun signe d’activité́ anthropique ni de fragmentation d’habitat détectable à distance et devant occuper une superficie suffisamment vaste pour entretenir toute la diversité́ biologique indigène, y compris des populations viables d’espèces à aire de répartition étendue. ». Dans le détail, il retient des espaces d’au moins 500 km2, caractérisés par l’absence de toute altération ou gestion attribuables à l’agriculture ou à l’exploitation forestière ou minière, et la présence d’une zone tampon de 1 km les séparant de toute infrastructure telle que routes et lignes électriques.
Les difficultés pour adopter une définition claire et universelle disent à quel point nous avons impacté les écosystèmes que nous peinons aujourd’hui à en identifier des intacts ! Les forêts primaires sont pourtant absolument essentielles et notre sort est intimement lié à leur survie.
[1] FAO. 2021. Évaluation des ressources forestières mondiales 2020: Rapport principal. Rome.
[2] Potapov, and al., (2017), Arthropods in the subsoil: Abundance and vertical distribution as related to soil organic matter, microbial biomass and plant roots. European Journal of Soil Biology, Volume 82, 2017, Pages 88-97
Combien reste-t-il de forêts primaires dans le monde ?
La réponse courte : 1,11 milliards d’hectares selon la FAO en 2020, ce qui représente 27% du couvert forestier de la planète3 . Si cela vous paraît beaucoup, sachez que l’UNEP, le programme des Nations Unies pour l’environnement, estime que 80% des forêts primaires ont été abattues au cours du siècle dernier…
Mais le diable est dans les détails : l’estimation de la FAO est basée sur les relevés des 146 pays et territoires ayant fourni des données à l’organisation. La fiabilité de ces données est pourtant, de l’aveu-même des rédacteurs du rapport, source d’inquiétude puisque chaque pays adopte ses propres critères. Pour la France4 par exemple, une forêt primaire est une forêt qui n’a pas été touchée par l’homme depuis au moins 50 ans (alors qu’on estime qu’il faut 800 ans à une forêt tempérée pour se régénérer jusqu’à retrouver un état « primaire »). Pour le Canada5 , il n’existe pas de définition des forêts primaires ; le pays fonctionne par extrapolation d’autres éléments comme l’absence de route ou d’habitation à proximité d’un massif forestier. Pour d’autres pays et territoires, c’est la surface de parcs nationaux et zones protégées qui est assimilée à des hectares de forêt primaire, alors que ces espaces peuvent faire l’objet d’interventions humaines et même de certaines formes d’exploitation forestière. Plusieurs groupes de travail régionaux et globaux ont été lancés par la communauté scientifique pour tenter d’aboutir à des indicateurs communs qui permettraient d’harmoniser les méthodes de comptage.
D’après la FAO toujours, la forêt primaire a perdu 81 millions d’hectares dans le monde depuis 1990 mais le rythme de cette diminution semble avoir ralenti de moitié sur la dernière décennie. C’est en Afrique et en Amérique du Sud que les pertes sont le plus conséquentes, notamment en République démocratique du Congo et au Brésil, deux territoires où la déforestation atteint des sommets.
On trouve aujourd’hui encore des forêts primaires sur tous les continents, mais les plus importantes se situent dans les zones tropicales et boréales. Plus de la moitié (61%) des forêts primaires répertoriées se rencontrent dans trois pays : le Brésil, le Canada et la Russie. En Europe, le dernier vrai joyau est la forêt de Białowieża, à cheval sur la Pologne et la Biélorussie.
[3] FAO. 2021. Global Forest Resources Assessment 2020. Global Data Dashboard
[4] Rapport FRA 2020, France
[5] FRA 2020 report, Canada
À quoi servent les forêts primaires ?
Les forêts primaires ont une valeur inestimable en termes de biodiversité, de captage et stockage de carbone, et de services écosystémiques. Préservées des perturbations humaines, il s’y noue des relations complexes et uniques entre les êtres vivants. Certains de ces massifs forestiers abritent des espèces que l’on ne trouve nulle part ailleurs. En Amazonie par exemple, 25% des espèces répertoriées et 60% des espèces d’arbres et lianes sont endémiques aux forêts primaires6 . Leur concentration exceptionnelle en biodiversité leur procure une résilience hors du commun. Elles s’auto-régulent, permettant aux espèces de poursuivre leur cycle de vie en harmonie et sans besoin d’intervention extérieure. Elles participent activement à la reconstitution des ressources hydriques et au bon fonctionnement du cycle de l’eau ; un rôle dont les impacts se font ressentir bien au-delà de leurs périmètres, permettant à des communautés entières de vivre. Elles contribuent, peut-être plus que tout autre type de forêt, à la régulation climatique en captant notamment d’énormes volumes de CO2 et en oxygénant l’atmosphère. Écosystèmes modèles, elles sont enfin une ressource inépuisable d’émerveillement et un objet d’étude incomparable pour tenter de comprendre toute la diversité et la complexité du vivant.
[6] Barlow et al., 2007
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