Du champignon non comestible au champignon toxique
Il n’existe pas de réelle frontière entre les champignons comestibles et les non comestibles ou toxiques… et même les connaisseurs ne sont pas à l’abri d’une très mauvaise expérience.
Les risques de la consommation de champignons
Ne vous laisser pas tromper par l’effet d’aubaine d’une récolte, imprévisible mais abondante, de champignons à l’aspect engageant, dont la simple vue paraît annoncer un « délicieux repas » !
Pour nombre de victimes d’intoxications, la tentation était trop forte. Malgré des règles de prudence maintes et maintes fois répétées, le risque de consommer des champignons sur leur seule bonne mine est largement sous-estimé…
En France, 9 intoxications mortelles sur 10 sont causées par des amanites phalloïdes, pourtant facilement identifiables, et malgré de nombreux rappels, dans les media, sur le danger à les consommer : après un « vrai régal » - l’Amanite phalloïde a un aussi bon goût que l’Oronge-, l’intoxication est assurée, avec des séquelles à vie quand l’issue n’a pas été fatale.
Un seul conseil : apprenez toujours plus sur les champignons ! « Tout savoir sur les champignons »
Les champignons non comestibles
Prudence ! Ne consommez que des champignons parfaitement identifiés comme « comestibles sans risques particuliers ». Considérez toutes les autres comme « non comestibles », et rejetez en bloc la consommation de tout champignon :
- Dont la toxicité est avérée : selon l’espèce en cause, sa consommation provoque, occasionnellement ou systématiquement, une intoxication qui peut aller d’un simple dérangement intestinal à un empoisonnement mortel. Parmi les macromycètes (anciens « champignons supérieurs ») d’Europe de l’Ouest, le nombre des espèces mortelles est du même ordre de grandeur que celui des espèces considérées comme comestibles : aux alentours de 1%. Le pourcentage des espèces identifiées comme toxiques, mais a priori non mortelles, est d’environ 10%. La liste des champignons toxiques s’est considérablement allongée au cours des dernières décennies. Elle contient actuellement au moins 500 espèces, dont certaines étaient autrefois considérées comme comestibles. À l’évidence, il est dangereux de vérifier par soi-même la toxicité d’un champignon, et tout aussi dangereux de consommer des espèces dont la toxicité est aléatoire. Se méfier des spécimens qui manquent manifestement de fraîcheur, ou qui ont fermenté après récolte et/ou transport dans des sacs en plastique.
- Dont la comestibilité est douteuse ou inconnue, sur lequel on n’a pas de données fiables de comestibilité ou de toxicité. Environ 90% des espèces sont dans cette catégorie, où l’on retrouve pêle-mêle des espèces trop petites, trop rares, ne pouvant être récoltées en abondance, d’aspect peu engageant, aux caractéristiques suffisamment éloignées des espèces traditionnellement recherchées pour qu’on ne soit pas tenté de les consommer lorsqu’on fait preuve d’une méfiance salutaire. S’il y avait, parmi ces nombreuses espèces, des champignons à la fois « bons comestibles » et savoureux, ils auraient été repérés depuis de nombreuses générations.
- Qui peut être facilement confondu avec une espèce toxique, encore faut-il savoir identifier correctement les champignons que l’on souhaite consommer, et les toxiques les plus dangereux, en premier lieu l’Amanite phalloïde.
- Qui est parfois consommé par certains, mais connu pour n’être ni très savoureux, ni très digeste : les champignons n’étant pas des aliments de grande qualité nutritionnelle, rien ne justifie la consommation d’espèces aux qualités gustatives médiocres, trop souvent responsables de dérangements intestinaux.
- Qui n’est pas bien cuit avant consommation : très rares sont les champignons qui peuvent être consommés crus, si ce n’est très occasionnellement et en faible quantité, et jamais par de jeunes enfants. Tout au plus l’oronge et les truffes, et avec réserves le champignon de Paris et le rosé des prés, mais ces derniers peuvent être riches en tréhalose et en mannitol, sucres auxquels de nombreuses personnes sont intolérantes.
- Qui est consommé dans certaines régions, mais pas dans celle où l’on se trouve : pour une même espèce la concentration en métabolites secondaires (donc en toxines) peut varier d’une souche locale à une autre.
Quels sont les champignons non comestibles ? Quels sont les champignons les plus toxiques ? Retrouvez nos fiches récapitulatives mais non exhaustives !
Une prudence ancestrale justifiée
Les générations passées l’avaient bien compris, et avaient appris à ne consommer que des champignons faciles à identifier, dont la comestibilité semblait bien établie, pouvant être récoltés en quantités suffisantes, et à rejeter tous les autres.
Ces générations avaient aussi bien compris que les champignons ne peuvent pas être des aliments habituels pour l’Homme. La consommation des champignons est mieux justifiée par leurs qualités gustatives que par leurs qualités nutritives, et la perspective d’un « bon repas » ne réduit pas le risque réel de le voir se transformer en cauchemar lorsqu’on ne respecte pas les règles élémentaires de prudence.
Traditionnellement, les champignons étaient toujours consommés cuits, occasionnellement, en quantité raisonnable … et parfois avec un peu d’appréhension. Cette prudence n’était pas que de l’ignorance dans la connaissance des espèces, mais le fruit d’une longue expérience que la mémoire collective a quelque peu oubliée. Il est probable que toutes les causes d’intoxications n’ont pas été élucidées, et que la toxicité de certains champignons n’a pas été retenue.
On sait depuis longtemps que les morilles sont toxiques crues. Ce n’est pas une exception : au cours des dernières décennies, on a découvert (ou plus probablement redécouvert, après l’avoir oublié) la toxicité de nombreux champignons, jusqu’alors considérés comme « comestibles » ou « inoffensifs », l’intoxication étant plus violente lorsqu’ils sont mangés crus : le gyromitre « délicieux », la pézize couronnée, le paxille enroulé, le cortinaire couleur de roucou, le tricholome équestre, la galère marginée, les petites lépiotes, l’amanite à volve rousse … D’autres ne semblent toxiques que s’ils sont mangés crus : l’amanite rougissante, l’amanite épaisse et la plupart des autres amanites, le bolet à pied rouge, le bolet bai … et le shiitake, bien que cette espèce soit mondialement cultivée pour consommation. Cette liste s’allongera probablement au cours des années à venir, tant que la prudence qui prévalaient depuis des siècles continuera à être remise en question. Evitez les « carpaccios de champignons » …
Pour limiter les risques d’intoxications, et suite à un avis de l’ANSES, l’arrêté du 5 août 2016 suspend la mise sur le marché de trois espèces sauvages (Suillus granulatus, Russula olivacea, Armillaria mellea) et d’une espèce cultivée (Lentinula edodes, le shiitaké), lorsqu’ils ne sont pas accompagnés d’une information indiquant qu’ils ne peuvent pas être consommés crus :
- Suillus granulatus est un bolet qui pousse sous les pins. Parfois consommé sans inconvénients dans le Nord et le Sud-Ouest de la France, il est systématiquement toxique dans le Sud-Est, même lorsqu’on a pris soin d’enlever sa cuticule nettement indigeste, gluante lorsqu’elle est humide.
- Russula olivacea, une russule consommée en Europe de l’Est, a causé des intoxications sur le pourtour nord de la méditerranée, au moins lorsqu’elle est consommée crue ou mal cuite.
- Armillaria mellea, une armillaire considérée comme comestible jeune dans certaines régions - en Occitanie, certains la consomment sous le nom de « garrigade » - a causé, au cours des 20 dernières années, plusieurs centaines d’intoxications en France, en Italie, en Suisse, aux USA.
- Bien que mondialement cultivé et consommé, le shiitake, Lentinula edodes, cause de graves dermatites lorsqu’il est consommé cru.
Les intoxications les plus fréquentes et leurs symptômes
Rien qu’en Europe, plusieurs centaines d’espèces de champignons provoquent systématiquement des intoxications. Heureusement, la plupart de ces intoxications restent bénignes, et se limitent à de simples dérangements intestinaux, dont les désagréments ont l’avantage d’inciter à plus de prudence. Mais trop souvent les symptômes sont plus sévères. Ils peuvent conduire à une issue fatale lorsqu’ils sont associés à de graves atteintes rénales ou hépatiques, à la destruction des cellules musculaires ou à celle des globules rouges, ou encore à des atteintes neurologiques.
Le plus souvent, la gravité des intoxications est liée à la rapidité d’apparition des symptômes :
Symptômes d’apparition rapide, se manifestant rapidement après le repas (habituellement moins de 5 à 6 heures).
Les troubles ressentis varient selon les champignons en cause, ce qui permet de distinguer plusieurs ensembles de symptômes et de signes cliniques, les syndromes :
- Le syndrome gastro-intestinal est le plus fréquent, plus ou moins sévère et éprouvant : nausées, vomissements, douleurs abdominales, diarrhées. Plusieurs centaines d’espèces reconnues comme toxiques peuvent être en cause. Sa gravité est limitée lorsqu’il est associé à la consommation de Clavaire dorée, d’Hypholome en touffes, d’Agaric jaunissant, de Russule émétique, etc. La consommation de Bolet Satan, d’Entolome livide, de Clitocybe de l’olivier, de Tricholome tigré, et bien d’autres espèces moins connues, induit une intoxication beaucoup plus sévère, nécessitant – par précaution - une hospitalisation de deux ou trois jours. Attention ! Un syndrome gastro-intestinal peut se manifester après consommation de champignons considérés comme comestibles, mais consommés en trop grande quantité ou trop fréquemment, ou fermentés après récolte dans une poche en plastique, ou encore riches en tréhalose (comme les jeunes rosés des prés), sucre que tout le monde ne digère pas, ou riches en antibiotiques mal supportés par certaines personnes (clitocybes), etc.
- Le syndrome muscarinien est surtout causé par des clitocybes et des inocybes (malgré son nom, il est secondaire dans l’intoxication par l’Amanite tue-mouches, Amanita muscaria) : aux troubles gastro-intestinaux, s’ajoutent une salivation et une sueur abondantes, un ralentissement du rythme cardiaque, une baisse de tension, etc.
- Le syndrome panthérinien, causé par l’Amanite tue-mouches et l’Amanite panthère : aux troubles gastro-intestinaux s’ajoutent des troubles neurologiques (ébriété apparente, fièvre, agitation, convulsions, délires, hallucinations, modifications de la perception visuelle, etc.).
- Le syndrome hémolytique, causé par plusieurs espèces consommées crues ou insuffisamment cuites. Parmi les Ascomycètes, on le sait depuis longtemps pour les morilles. On l’a redécouvert plus récemment pour diverses amanites, dont l’Amanite rougissante. Les toxines de ces espèces sont détruites par la cuisson (ou le séchage pour les morilles), mais c’est un cas isolé : celles de l’Amanite phalloïde et de la plupart des autres champignons mortels résistent à une cuisson prolongée.
- Le syndrome coprinien, causé surtout par le coprin noir d’encre, aggravé par la consommation d’alcool (y compris dans les jours suivants) : forte vasodilatation du visage, qui devient très rouge, sueurs, céphalées, accélération du rythme cardiaque, baisse de tension.
- Le syndrome narcotinien, causé par des champignons hallucinogènes : troubles graves de l’humeur, hallucinations visuelles et auditives, pouvant conduire à des convulsions, un coma ou un infarctus mortel.
- Le syndrome paxillien, typique d’une intoxication « avec effet de seuil », causé par le paxille enroulé, surtout (mais pas seulement) lorsqu’il est consommé cru ou mal cuit. A chaque consommation de spécimens riches en toxines (la teneur en toxines est très variable selon les récoltes et les souches locales du champignon), des anticorps s’accumulent et « la consommation de trop » déclenche une violente réaction de type immunitaire, provoquant une destruction des globules rouges et une atteinte rénale grave, parfois mortelle. La consommation de paxille enroulé s’apparente à un dangereux jeu de « roulette russe » …
Symptômes d’apparition tardive, se manifestant habituellement plus de 5 à 6 heures après le repas.
Les personnes intoxiquées sont d’autant plus difficiles à soigner que les toxines ont déjà fait leur effet nocif dans l’organisme lorsque les symptômes se manifestent. L’issue est souvent mortelle, même si la prise en charge hospitalière a été assez rapide après l’apparition des symptômes, et même si tous les moyens disponibles ont été mis en œuvre.
- Le syndrome phalloidien, causé par des amanites (Amanite phalloïde, Amanite printanière, Amanite vireuse, peut-être par d’autres espèces voisines), par plusieurs petites lépiotes du groupe de Lepiota helveola, et par la Galère marginée et espèces voisines. L’intoxication commence par un violent syndrome gastro-intestinal, parfois accompagné de malaises cardiaques. Si l’intoxiqué a survécu, son calvaire n’est pas terminé : quelques jours plus tard survient une atteinte hépatique grave, avec destruction des cellules du foie et blocage consécutif des reins.
- Le syndrome orellanien, causé par Cortinaire couleur de Roucou et par plusieurs espèces proches. Après des troubles gastro-intestinaux peu alarmants, l’intoxication provoque, de 3 à 20 jours après ingestion, une insuffisance rénale aiguë. Qui se souviendra qu’il a mangé ce qu’il croyait être « des girolles » une quinzaine de jours auparavant ?
- Le syndrome gyromitrien, causé par le gyromitre « délicieux » et probablement par la pézize couronnée. Quelques jours après des symptômes gastro-intestinaux classiques, une atteinte du foie et des reins peut apparaître, accompagnée de symptômes neurologiques. L’issue est fatale une fois sur dix environ.
- Le syndrome myopathique, décrit il y a moins de 30 ans, causé par le Tricholome doré et probablement par d’autres espèces confondues sous le nom de Tricholome équestre. L’intoxication se produit après des consommations trop abondantes ou répétées, avec un net « effet de seuil » qui dépend de chaque individu et de la concentration en toxines, très variable, des spécimens consommés. Elle est caractérisée par une destruction des cellules musculaires, qui provoque une insuffisance rénale et/ou cardiaque, et dont l’issue peut être fatale.
- Le syndrome proximien, décrit il y a moins de 30 ans, causé dans le midi de la France par l’Amanite à volve rousse, et par d’autres amanites dans d’autres régions du monde.
La gravité des intoxications fongiques
Comme nous venons de le voir, la gravité est fortement liée au délai d’apparition des symptômes. L’intoxication par des champignons peut aller d’un banal dérangement intestinal à différentes formes d’empoisonnements mortels. Sa gravité varie selon l’espèce consommée, la concentration en toxines des champignons consommés, la quantité ingérée. Elle dépend aussi, pour chacun des convives, de sa masse corporelle, de sa sensibilité à certaines molécules, de son état de santé, de son âge.
Evitez de faire consommer des champignons (surtout crus) à de jeunes enfants, et n’insistez pas auprès d’un convive qui ne souhaite pas consommer de champignons : il aurait probablement des difficultés à les digérer…
La toxicité est le plus souvent due aux toxines produites par le champignon consommé, mais elle est parfois induite : concentration de polluants (métaux lourds, produits chimiques divers, éléments radioactifs), contamination (maladies parasitaires), manque de fraîcheur ou mauvaise conservation (fermentation après récolte et transport dans des sacs en plastique).
Que faire en cas d’intoxication ?
Lorsqu’une intoxication par des champignons se produit, il faut réagir dès l’apparition des premiers symptômes. Une prise en charge rapide permet habituellement de déterminer le champignon (ou les champignons) en cause, et d’adapter les soins médicaux au type d’intoxication.
Les médecins régulateurs des Services d’Urgence contacteront, si vous ne l’avez pas déjà fait, le Centre Anti-Poisons régional. Afin d’organiser au mieux la prise en charge médicale, de nombreuses questions vous seront posées.
- Quels sont les symptômes ressentis ? Dans quel ordre et avec quelle intensité ont-ils été perçus ? Au bout de combien de temps après le repas ? Tous les convives ayant consommé des champignons ont-ils été touchés ?
- Après l’apparition des premiers symptômes, au bout de combien de temps les services médicaux ont-ils été alertés ?
- Quelle est l’espèce, ou quelles sont les espèces, de champignons consommés, ou que la personne intoxiquée a pensé consommer ? En quelle quantité ? Au cours d’un seul repas ou de plusieurs repas rapprochés ? Préparés de quelle manière ? Y a-t-il des restes du plat consommé, des déchets de tri ? Quels étaient les autres aliments consommés ? (D’autres aliments peuvent être en cause)
- Pour chacun des convives intoxiqués : mange-t-il régulièrement des champignons ? Avait-il connu, auparavant, ce type de symptômes (même atténué), ou est-ce la première fois ? Quel est son âge, son état de santé ? Se connaît-il des allergies ou des intolérances alimentaires ? Suit-il un traitement médical, et si oui, lequel ?